On pourrait trouver quelque chose de drôle et paradoxal dans la faillite de la Silicon Valley Bank, si celle-ci n’était pas aussi dramatique et dangereuse.
C’est que cette banque qui s’adressait aux jeunes entreprises technologiques et à la communauté du capital-risque a chuté non pas à cause de produits dérivés extrêmement sophistiqués comme les CDS ou les CDO qui avait fait chuter Lehman et Washington Mutual en 2008. Ici c’est bien à cause du même problème que celui qui avait condamné les Saving and Loans américaines dans les années 1970, c’est-à-dire un bon vieux déséquilibre dans le bilan entre l’actif et le passif.
En effet, SVB avait connu un énorme afflux de dépôts entre 2020 et 2022 avec des dépôts qui avaient atteint 198 milliards de dollars le 31 mars 2022 par rapport à 74 milliards de dollars en juin 2020.
Toutes les banques ont le même problème quand les taux sont bas, que fait-on de l’argent venant des dépôts des clients ?
Comme tout le monde, SVB avait décidé de placer la majeure partie de l’argent dans des obligations, principalement des titres adossés à des créances hypothécaires (MBS). Ces titres présentent un risque de crédit minime. Mais, puisque ce sont des titres à taux fixe, ils comportent un risque de taux d’intérêt important.
L’erreur de la SVB a été d’investir dans des titres hypothécaires à long terme, d’une durée supérieure à 10 ans, plutôt que dans des bons du Trésor à plus court terme ou des émissions hypothécaires arrivant à échéance dans moins de cinq ans et donc moins sensibles à la hausse des taux.
La forte hausse des taux d’intérêt a induit l’effondrement du marché obligataire en 2022 (pour ceux qui l’auraient oublié, les prix des obligations évoluent en sens inverse des rendements) ce qui a eu un impact considérable sur le portefeuille obligataire de la SVB.
En effet, début 2023, SVB détenait 117 milliards de dollars de titres, ce qui représentait la majeure partie de ses 211 milliards de dollars d’actifs.
Et c’est là où cela devient lunaire !
Ces obligations affichaient des pertes importantes à la fin de l’année 2022, puisque 91 milliards de dollars du portefeuille obligataire, classés comme titres détenus jusqu’à l’échéance à des fins comptables, ne valaient plus que 76 milliards de dollars, soit une perte de 15 milliards.
Bien que cette perte soit réelle, la SVB n’a pas eu à la comptabiliser !
En effet, les règles comptables américaines permettent aux titres détenus jusqu’à l’échéance d’être effectivement comptabilisés à leur coût d’acquisition.
C’est-à-dire que ces obligations qui avaient été achetées 100% de leur valeur nominale et qui avaient chuté fortement avec la hausse des taux étaient toujours valorisées à 100% dans les actifs de la banque.
Comptabilisée, cette perte de 15 milliards de dollars aurait réduit à néant, la quasi-totalité des 16 milliards de dollars de fonds propres de la banque à la fin de l’année 2022 !
Et alors que SVB était assise sur une énorme perte économique, les analystes n’y ont guère prêté attention !
Enfin ça, jusqu’à la fin de la semaine dernière.
Ils semblaient penser que la banque résisterait à la tempête, que le portefeuille d’obligations arriverait progressivement à maturité et que les pertes se résorberaient (rappel un peu technique : plus le temps passe et se rapproche de sa duration, moins l’obligation est sensible aux taux).
Mais la situation s’est rapidement détériorée pour SVB
Le mercredi 8 mars, alors que SVB se débattait avec un manque de capital et la perspective d’un abaissement de sa note de crédit, il s’est adressé à Goldman Sachs afin d’élaborer un plan inhabituel en deux parties.
La première partie consiste à vendre 21 milliards de dollars d’obligations et de réaliser une perte de 1,8 milliard de dollars, la seconde consistait à lever 2,25 milliards de dollars de capitaux pour compenser cette perte. L’offre de Goldman pour le portefeuille était inférieure à la valeur comptable que SVB lui avait attribuée, car la hausse des taux d’intérêt l’avait rendue moins intéressante.
SVB devait donc enregistrer une perte sur ce portefeuille, et l’étape suivante consistait pour Goldman à trouver une solution en organisant une vente d’actions de 2,25 milliards de dollars pour SVB afin de combler le déficit de financement causé par la vente du portefeuille d’obligations.
Mais Goldman Sachs n’a pu réaliser que la première étape de ce plan.
Une fois la vente du portefeuille d’obligations terminée, la célèbre banque d’investissement n’a pas eu le temps de convaincre les investisseurs de bloquer le capital et de surmonter les inquiétudes des déposants qui retiraient leur argent de la SVB.
La vente d’actions échouant, la SVB est devenue la plus grande banque américaine à faire faillite depuis la crise financière de 2008.
Car c’est là où la partie 2 du scénario catastrophe se réalise : les déposants se sont empressés de retirer leur argent. Le fameux bank run ! Mais cette fois, non pas le bon vieux bank run de papa où les clients font la queue devant la banque. Non un bank run du temps des virements instantanés, c’est-à-dire un bank run en vitesse supra-accélérée !
Les actions de SVB ont plongé de 60 % à 106,04 dollars jeudi 9 et n’ont pas été ouvertes à la négociation vendredi 10.
Alors la question que tout le monde se pose : c’est comment tout le monde a pu être aussi aveugle que cela ?
Toujours la même histoire : personne ne regarde les signes avant-coureurs.
Ils étaient pourtant tous au rouge vif pour SVB. La preuve, Goldman Sachs (toujours eux) donnaient un avis positif sur SVB la semaine précédant la spectaculaire faillite. Les autorités américaines s’interrogent d’ailleurs sur le rôle de Goldman dans tout cette démence. Nous y reviendrons plus tard.
BlackRock eux, avait averti la Silicon Valley Bank, que ses contrôles des risques étaient « nettement inférieurs » à ceux des autres banques américaines au début de 2022. Banques américaines pourtant déjà nettement moins contrôlées que leurs homologues européennes qui sont sous le contrôle issu des recommandations du comité de Bâle.
SVB qui avait engagé le Financial Markets Advisory (FMA) de BlackRock en octobre 2020 pour analyser l’impact potentiel de divers risques sur son portefeuille de titres, avait ensuite élargi le mandat pour examiner les systèmes de risque, les processus et le personnel de son département de trésorerie, qui gérait les investissements.
Le rapport de contrôle des risques de janvier 2022 a donné à la banque un « Gentleman C ». Gentleman C est une note de passage académique attribuée à un étudiant qui aurait échoué de peu mais qu’on laisse passer par indulgence du jury.
BlackRock constatait que SVB était à la traîne par rapport à des banques similaires pour 11 des 11 facteurs pris en compte et qu’elle était « substantiellement inférieure » à ces dernières pour 10 des 11 facteurs.
Les consultants avaient constaté que SVB n’était pas en mesure de produire des mises à jour en temps réel ou même hebdomadaires sur l’évolution de son portefeuille de titres.
SVB a écouté les critiques mais a repoussé les offres de BlackRock d’effectuer un travail de suivi …
À l’époque, le directeur financier cherchait des moyens d’accroître les bénéfices trimestriels de la banque en augmentant le rendement des titres qu’elle détenait dans son bilan.
Leur examen portait sur des scénarios incluant des hausses de taux d’intérêt de 100 à 200 points de base. Mais aucun modèle n’a pris en compte ce qu’il adviendrait du bilan de la SVB en cas de hausse plus forte des taux, comme les augmentations rapides du taux de base de la Réserve fédérale à 4,5 % au cours de l’année écoulée.
À l’époque, les taux d’intérêt étaient au plus bas et n’avaient pas dépassé 3 % depuis 2008.
Winner Takes All
Du côté de Goldman Sachs, l’opération bâclée a eu un côté positif.
Le portefeuille d’obligations qu’elle a acquis auprès de SVB vaut aujourd’hui plus cher, compte tenu de la baisse des taux consécutive à la faillite de SVB. Une plus-value se chiffrerait en
centaines de millions de dollars.
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