Le marteau et l'enclume
Fabrice GUEZ
Formateur - First Finance
Date : 28 août 2023

Inflation, ralentissement, récession, cet été aura été dans la lignée de cette année si particulière.

Entre récession et inflation, les banques centrales, Fed comme BCE, ont toujours autant de mal à trouver l’équilibre et sont pris entre la « nécessité » de lutter contre l’inflation, et l’obligation de ne pas trop freiner l’économie qui a vraiment du mal à décoller.

 

En Europe, la hausse des taux pèse toujours autant sur la croissance

Même s’il est plus obscur que d’autres indicateurs (inflation, chômage, etc.), le PMI manufacturier (Purchasing Manager’s Index) est un indice très suivi par les marchés.

Il permet de connaître et de déterminer la santé économique d’une zone géographique puisqu’il mesure l’activité économique dans le secteur manufacturier d’un pays en se fondant sur des données fournies par les directeurs d’achats des entreprises.

 

C’est donc un outil précieux pour suivre l’évolution de l’économie et prendre des décisions en matière d’investissement, de politique monétaire et de planification économique et conséquemment suivi par les économistes pour comprendre la tendance économique actuelle et anticiper les changements à venir.

 

Il est calculé par des instituts de recherche économique sur la base de questionnaires qui portent sur différents aspects de l’activité de l’entreprise, tels que la production, les nouvelles commandes, les stocks, l’emploi et les délais de livraison des fournisseurs. Les réponses sont généralement sous forme d’indices, où une valeur de 50 est considérée comme la limite entre une croissance et une contraction.

 

Une valeur supérieure à 50 de l’indice PMI manufacturier indique une expansion de l’activité manufacturière, tandis qu’une valeur inférieure à 50 indique une contraction.

 

Ce mois d’août dans la zone euro, les entreprises ont été touchées par de fortes baisses de la production et des nouvelles commandes.

 

L’indice composite de la zone euro, qui mesure l’activité des entreprises dans l’ensemble des 20 pays, est tombé à 47, son niveau le plus bas depuis 33 mois, après une contraction soudaine de l’activité des services et un déclin continu de l’industrie manufacturière au mois d’août.

 

Les prévisions des analystes anticipaient pour le PMI une valeur de 48,5 et un tel chiffre et une telle contraction soulèvent de fait de forts doutes quant à la persistance du relèvement des taux d’intérêt par la Banque Centrale Européenne le mois prochain.

 

En tombant de 48,6 le mois précédent, l’indice s’est déjà enfoncé sous la barre des 50 qui sépare la contraction de l’expansion et a renforcé les craintes d’un ralentissement au cours du second semestre de cette année. Le recul de l’indice PMI de la zone euro, qui atteint son niveau le plus bas depuis novembre 2020, est le reflet d’un net ralentissement dans le secteur des services, où l’activité s’est contractée pour la première fois depuis décembre. Cela s’ajoute à une contraction continue, bien que moins sévère, du secteur manufacturier.

 

Ces sombres perspectives économiques rendent moins probable un nouveau relèvement des taux d’intérêt par la BCE lors de sa réunion du mois prochain.

 

De fait, la hausse des taux moins probable du côté de Francfort a pesé sur la parité Euro contre Dollar. Sur une tendance très haussière avec les niveaux de 1,1200 dans le viseur, l’Euro a reculé de près de 3 % par rapport au Dollar, à moins de 1,08.

 

 

 

De même, le rendement des obligations allemandes à deux ans, a baissé de plus de 15 points de base pour passer pour la première fois depuis longtemps sous les 3%.

 

 

 

L’enquête a également révélé que les entreprises font état d’une inversion des récentes baisses des pressions inflationnistes. Les prix moyens facturés par les entreprises pour les biens et services se sont accélérés pour la première fois en sept mois, ramenant le taux au-dessus de la moyenne à long terme.

 

Les sombres perspectives économiques ont incité les investisseurs à réduire leurs paris sur une dixième hausse consécutive des taux d’intérêt par la Banque Centrale Européenne lors de sa réunion du 14 septembre. La forte baisse continue des données PMI met bien sûr à l’épreuve l’optimisme de la BCE en matière de croissance et on peut s’attendre maintenant à ce que la BCE fasse une pause en septembre.

 

Mais il n’est pas encore certain que l’inflation soit au niveau souhaité par la BCE. S’exprimant lors de la conférence annuelle de la Réserve fédérale américaine à Jackson Hole, dans le Wyoming le 25 août 2023, Mme Lagarde a encore averti le 23 août que les récents bouleversements de l’économie mondiale menaçaient d’entraîner des changements durables, maintenant les pressions inflationnistes à un niveau plus élevé que la normale et compliquant le rôle des responsables de la politique monétaire.

 

Elle a de plus déclaré que les banquiers centraux devaient être « extrêmement attentifs à ce qu’une plus grande volatilité des prix relatifs ne se répercute pas sur l’inflation à moyen terme par le biais de salaires qui « chassent » les prix de manière répétée ».

 

Alors quoi faire ? Continuer à monter les taux en laissant les entreprises de plus en plus pessimistes sur les perspectives économiques ?

 

On l’a vu la semaine dernière, tous les indices renforcent les signes indiquant que l’économie européenne se dirige vers une nouvelle récession. Avec en tête l’économie allemande, qui n’est pas visiblement sortie d’affaire avec un indice global de confiance des entreprises allemandes qui a chuté de 1,7 point pour atteindre 85,7, son niveau le plus bas depuis dix mois.

 

 

source : FT

 

Les résultats négatifs reflètent ceux d’une enquête menée plus tôt cette semaine auprès des directeurs d’achat, qui a révélé que les entreprises allemandes ont subi la plus forte baisse d’activité depuis plus de trois ans, en raison de la diminution des nouvelles commandes, de la production et des stocks.

 

Jérôme Powell toujours plus haut à Jackson Hole

Aux États Unis c’est le même dilemme.

 

Jérôme Powell, le président de la Réserve fédérale, a promis, lors d’un discours très attendu, que sa banque centrale resterait fidèle à sa volonté d’éradiquer l’inflation élevée « until the job is done » et a déclaré que les responsables étaient prêts à augmenter encore les taux d’intérêt si nécessaire.

 

Cela a mis un gros coup d’arrêt aux marchés actions qui ont subi dans la même semaine les mauvais chiffres du PMI européen et les mauvais chiffres de l’économie chinoise.

 

Même si Jérôme Powell a souligné que la Fed essayait de trouver un équilibre entre le risque d’en faire trop et de nuire à l’économie plus que nécessaire et le risque d’en faire trop peu, il s’est bien gardé de faire un tour de piste sur le récent ralentissement de l’inflation. Son discours a mis l’accent sur un point essentiel : les autorités veulent voir davantage de progrès pour être convaincues qu’elles maîtrisent réellement la hausse des prix.

 

Il déclare ainsi : “The message is the same : It is the Fed’s job to bring inflation down to our 2 percent goal, and we will do so,”.

 

Pourtant, M. Powell a clairement indiqué que la Fed n’était pas forcément pressée de relever à nouveau ses taux, mais il est resté prudent quant au risque de poursuite de l’inflation.

 

L’augmentation des prix a considérablement diminué au cours des derniers mois, pour atteindre environ 3 %. Si ce chiffre reste supérieur à l’objectif d’inflation de 2 % que s’est fixé la Fed, il est tout de même en net recul par rapport au pic de 7 % atteint l’été dernier.

 

Pour rappel, la Fed a porté les taux d’intérêt à une fourchette de 5,25 à 5,5 %, alors qu’ils étaient proches de zéro en mars 2022, pour lutter contre l’inflation.

 

On voit sur le graphe ci-dessous que les taux restent très haussiers au moins jusqu’au début 2024, avec des hausses de taux prévues jusqu’à janvier 2024 avant d’entamer un cycle de baisse de taux qui reste tout de même tout à fait hypothétique.

 

 

 

La nouveauté du message est pourtant là : non seulement la Fed a laissé la porte ouverte à la possibilité d’une nouvelle augmentation des taux, mais elle a aussi clairement indiqué qu’il n’était pas incongru de laisser les taux d’intérêt élevés pendant un certain temps, ce qui vient en face de certaines prévisions qui pensait que la hausse des taux serait temporaire.

 

Toutefois, le président de la Fed indique agir avec prudence en évaluant les données entrantes et l’évolution des perspectives et des risques et décidera s’il convient de poursuivre le resserrement ou, au contraire, de maintenir le taux directeur à un niveau constant et d’attendre de nouvelles données.

 

Des communications tout de même très difficilement lisibles : il semble que le message suggère que à l’instar de la BCE, la Fed n’est pas déterminée à relever les taux d’intérêt lors de leur prochaine réunion en septembre et pourrait plutôt attendre plus tard dans l’année avant de décider si les coûts d’emprunt doivent continuer à augmenter.

 

En adoptant une attitude patiente, les autorités disposeraient de plus de temps pour évaluer l’impact sur l’économie des mesures qu’elles ont déjà prises.

 

On l’a vu, l’homologue de Jérôme Powell, Christine Lagarde a tenu des propos totalement similaires sur la politique dans l’économie de l’Euro et au niveau mondial lors de cette même conférence de Jackson Hole, même si les incertitudes qu’elle a soulignées étaient à plus long terme.

 

Mais Mme Lagarde a souligné qu’il était essentiel de rester engagé à atteindre la stabilité des prix, à l’objectif d’inflation actuel de 2 % de la banque centrale, même dans un monde incertain.

 

M. Powell a semblé d’accord. Au cours de son propre discours, il a réfuté les spéculations croissantes des économistes selon lesquelles la Fed pourrait – ou devrait – relever son objectif d’inflation, ce qui le rendrait plus facile à atteindre.

 

Formations à suivre  pour aller plus loin :

Finance de marché@ESCP Business School

Banques centrales, gestion des bilans et impacts sur les marchés financiers

Produits cash, dérivés et structurés de taux indexés sur inflation

Produits monétaires et obligataires : utilisation, pricing et gestion