Plus tu peux payer, moins tu payes
Quand dans les années 1980, Jim Herbert fonde First Republic, il va se concentrer sur un produit et un secteur du marché jusque-là assez peu couverts : les Jumbo Mortgages.
Ces prêts s’adressent aux personnes à hauts revenus de la Silicon Valley qui demandaient des prêts de montant étonnamment élevés pour acheter des propriétés de luxe dans un marché qui voyait les prix de l’immobilier s’envoler sur les deux côtes des États-Unis, avec le début de la bulle internet.
First Republic s’est donc fait connaître pour ses prêts hypothécaires à taux d’intérêt fixes, une curiosité dans un pays qui préconise les taux variables des ARM (Adjustable Rate Mortgages).
Et les clients disposant de credit scores exceptionnels, ces jumbo mortgages furent accordés à des taux très bas et en règle générale, assortis d’une période « interest-only » où les emprunteurs ne devaient pas commencer à rembourser le principal avant dix ans.
Ces Jumbo Mortgages ont ainsi constitué le principal pilier du modèle commercial de First Republic pendant des décennies. Le succès ne s’est pas fait attendre puisque dans un contexte actions très haussier, les emprunteurs recherchaient des prêts qui leur permettraient de conserver l’essentiel de leur fonds disponibles pour des investissements supposément plus rentables.
La banque a ainsi accordé des prêts à des taux très bas à des clients fortunés, dont John Waldron, président de Goldman Sachs (encore eux …) ou Todd Moscowitz, PDG de Warner Bros. Ces derniers ont ainsi tous deux acheté des propriétés de plusieurs millions de dollars à New York, sans avoir à rembourser de capital avant une période de grâce de 10 ans.
Cette ruée a permis à First Republic de faire exploser le montant de ses actifs.
Elle a également contribué à son effondrement.
Encore une fois, les soucis se situent au centre du bilan de First Republic où l’on trouve un petit tracas de 150 milliards de dollars que constituait le gigantesque portefeuille de prêts hypothécaires à taux fixe et faible taux d’intérêt. Portefeuille dont la valeur a fondu depuis le relèvement agressif des taux d’intérêt par la FED.
En effet, ces prêts étaient devenus une charge énorme lorsque la FED a commencé à relever agressivement les taux d’intérêt en 2022 et la banque a vu ses mortgages perdre de la valeur d’une manière plus importante qu’anticipée.
Au début de l’année 2023, First Republic a ainsi déclaré que ses mortgages subissaient une dépréciation d’environ 19 milliards de dollars (dépréciation non inscrite au bilan dans la comptabilité américaine).
Les analystes se sont rapidement rendu compte qu’en cas de revalorisation de son portefeuille à la fair value, ces pertes non réalisées réduiraient à néant les 13 milliards de dollars de fonds propres de la société. Les analystes ont commencé à spéculer sur le fait que même à zéro, personne ne serait intéressé.
Le retour de la vengeance du Risque Systémique
Se sont-ils réveillés tôt ou n’ont-ils pas dormi de la nuit ?
Toujours est-il que le lundi 1er mai, à 4h30 du matin, JP Morgan a accepté de racheter First Republic à la Federal Deposit Insurance Corp (FDIC), qui avait saisi la banque après une période agitée au cours de laquelle, ses actions s’étaient effondrées et les déposants avaient retiré près de la moitié de leur argent.
Toute transaction annoncée un lundi matin à 4 h 30 est clairement conçue pour éviter le désordre potentiel. Car cette opération constitue la deuxième faillite bancaire la plus importante jamais enregistrée aux États-Unis et la troisième pour la seule année 2023.
La crise bancaire américaine du mois de mars revient sur le devant de la scène après une relative accalmie dans les semaines qui ont suivi les faillites de la Silicon Valley Bank (SVB) et de la Signature Bank et pose une grande question (pour l’instant sans réponse) : Existe-t-il ou non une crise bancaire systémique ?
Les marchés financiers ont accueilli de manière mitigée le rachat de First Republic et semble considérer que la résolution n’est pas un signe de la fin de la panique bancaire, mais plutôt comme une raison de continuer à flairer d’autres points faibles du système, même s’ils sont peut-être moins importants. La FED a de ce fait dû augmenter dramatiquement le niveau de leur prêt aux banques à un niveau jamais vu depuis 2008.
Malgré cela, les actions des banques régionales ont continué à s’écrouler : les grandes banques régionales telles que Citizens Financial et PNC – qui étaient toutes deux sur les rangs pour racheter First Republic – ont chuté de plus de 6 %, ce qui laisse supposer que les investisseurs ont été déçus que ces établissements n’aient pas été autorisés à dévorer les morceaux de la carcasse de First Republic.
Pendant ce temps, le cours des actions de JPMorgan, Wells Fargo ou Citigroup continue à augmenter fortement, ce qui indique que les investisseurs continuent à faire la distinction entre les plus grandes banques – perçues comme ayant un soutien implicite du gouvernement et se nourrissant de la crise actuelle – et toutes les autres.
Car plusieurs petites banques ont vu leurs cours de bourse chahutés à la suite de la faillite de First Republic. La Valley National Bank a ainsi vu ses actions chuter de 20 % après la faillite de First Republic soit sa pire chute journalière jamais enregistrée. La banque PacWest Bancorp a chuté de près de 11 %. Le prêteur immobilier HomeStreet Inc. a quant à lui, lui chuté de 18 %.
Dans ce contexte mortifère, il est important de noter le timing particulièrement impressionnant de BNP Paribas qui a quitté le marché des banques régionales américaines juste avant son effondrement.
Propriétaire depuis quarante ans de la banque californienne Bank of the West, le groupe décide le 20 décembre 2021, alors que les valorisations du secteur sont au plus haut, d’accepter une proposition de rachat de Bank of Montreal pour plus de 16 milliards de dollars.
La banque finalise le 1er février la vente, seulement cinq semaines avant la tempête déclenchée par la faillite de Silicon Valley Bank, et dégage ainsi une plus-value de cession de 2,95 milliards d’euros ce qui a permis dans un secteur bancaire ébranlé par trois faillites en 1 mois de renforcer sa solvabilité financière.
Il faut toujours écouter le marché
En regardant le prix des obligations First Republic, il semblerait que les traders des marchés obligataires avaient la forte intuition que la banque ferait faillite bien avant que les problèmes n’apparaissent.
En effet, avant la faillite de la Silicon Valley Bank le 10 mars, l’obligation s’échangeait normalement, son prix diminuant régulièrement à mesure que les taux d’intérêt augmentaient, mais sans forte augmentation de son spread de crédit. En résumé, le prix de l’obligation ne baissait qu’à cause de son risque de taux et non à cause de son risque de crédit.
Puis il y a eu un plongeon soudain dû à la crainte que First Republic ne soit la prochaine à tomber.
Le 21 avril, l’obligation se négociait à environ 50% de sa valeur nominale, ce qui correspondait à un taux supérieur à celui du marché de 6,5%, ce qui amenait sa probabilité de défaut au-dessus de 10%.
Une semaine plus tard, elle ne valait plus que 15 cents. Aujourd’hui, elle n’a pratiquement plus aucune valeur.
JP Morgan l’éternel sauveur
JP Morgan prend ainsi en charge la totalité des 92 milliards de dollars de dépôts de First Republic, même ceux qui n’étaient pas assurés, garantissant tous les dépôts. La FDIC n’a même pas eu besoin d’invoquer l’exception relative au risque systémique pour les assurer, comme elle l’a fait pour la Silicon Valley Bank et la Signature Bank.
En raison d’un changement de contrôle, JP Morgan devra évaluer le portefeuille de prêts de First Republic à la valeur du marché, donc très inférieure à la valeur comptable, réalisant ainsi des pertes sur ces prêts.
Ces pertes seront partagées avec la FDIC, pour un coût d’environ 13 milliards de dollars pour le fonds d’assurance, une paille en comparaison avec les 30 milliards de dollars attendus par le marché.
En vendant First Republic à JP Morgan, le gouvernement américain signale que la crise bancaire a pris le pas sur ces préoccupations.
JP Morgan possède maintenant environ 173 milliards de dollars de prêts de First Republic, 30 milliards de dollars de titres et 92 milliards de dollars de dépôts.
JP Morgan Chase a désormais joué le rôle de sauveur dans deux des trois plus grandes faillites bancaires de l’histoire des États-Unis – Washington Mutual et First Republic Bank.
Mais, même si les conditions de reprise sont totalement à 15 ans d’intervalle, elles offrent toutes deux des extensions intéressantes pour JP Morgan.
Jamie Dimon, CEO de JPM, avait depuis longtemps lorgné sur Washington Mutual et son importante présence sur la côte ouest avant l’effondrement de la banque en 2008, lorsque 9 % de ses dépôts se sont envolés en 10 jours, dans le contexte de l’implosion de la crise des subprimes.
L’ajout des succursales de Washington Mutual avait permis à JPMorgan de devenir la plus grande banque du pays en termes d’actifs.
Aujourd’hui, avec First Republic, JP Morgan gagne environ 150 conseillers financiers à une époque où les activités de gestion de patrimoine fournissent des revenus prévisibles aux banques dans un contexte de réduction des transactions et de l’activité commerciale. Damon le dit très bien en affirmant que JPM “is basically getting a very clean bank”.
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